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Competence-Artikel von Mario Desmedt (FR)

Cadres-soignants, indignez-vous!

Le sous-financement des hôpitaux fait les grands titres. La solution passe-t-elle par un nouveau système de tarification ? Vraiment !

 

Deux éléphants se trouvent au milieu de la chambre des patients. Ils se nomment (1) une perte de sens et (2) l’inadéquation des règles de l’économie des marchés.

 

Qui sont nos principaux clients ? Les patients et les proches, la population ainsi que … les soignants. Trois des quatre composants du « quadruple aim» (amélioration de l’expérience des soins, de la santé des populations, de l’expérience des fournisseurs de soins et du rapport qualité-prix). Une feuille de route reconnue pour garantir des soins sûrs, de haute qualité, efficients, efficaces et, … à même de réduire les coûts par cas.


Votre focus est-il bien placé sur le «core-business»? Les moyens à disposition sont-ils prioritairement alloués à la raison pour laquelle votre entreprise a été créée ? Sans modifications des habitudes de l’utilisation des moyens, sans mise en priorité de l’activité clinique et de la façon dont elle est facilitée puis réalisée le nouveau système de tarification sera un coup d’épée dans l’eau. Un peu plus de la même chose n’attirera ni ne fidélisera « les rameurs ». Produire pour construire mène à des dérives. Les besoins sanitaires ont évolué. Nous nous mouvons dans un monde de «one-health», de «compétences en santé», de déterminants sociaux, de maladies chroniques, d’une expertise là où vit le patient, etc. La phase aigüe est une partie des trajectoires de santé. Les soignants le savent et sont perdus dans le discours à propos des moyens de financement.


Le dernier «Workforce hope and fears study de PWC(2023)» nous indique que :
•    Les employeurs ne peuvent pas considérer leur «main-d’œuvre» comme acquise.
•    Moins de la moitié des personnes interrogées pensent que leurs managers sont justes, compétents, prévisibles, communicatifs et qu'ils agissent avec intégrité.
The Gallup State of Global Workforce 2023 nous apprend que 11% des collaborateurs s’épanouissent au travail, 72% feraient l’objet de «quiet quitting» (lire: ne sont pas très engagés), et 15% sont activement désengagés.  


L’étude CROWIS (2023) identifie l’exode des soignants vers le travail temporaire. Des responsables reconnaissent que le recours à du personnel temporaire est associé à une augmentation des coûts (92%), un impact négatif sur la communication au sein de l'équipe (72%), et une augmentation des évènements indésirables (70%). Nous payons trop cher cette nouvelle réalité !
Dans votre institution, quelle part du temps de travail d’une infirmière est effectivement dédié à des soins directs ?


PX + NX > CHF
Supposons qu’il s’agisse des résultats d’un «data tracking» ou «player data». Notre équipe d’athlètes ne gagnerait pas un match, elle ne finirait même pas le match. Certaines institutions l’ont compris et traitent leurs soignants comme des athlètes, un bien précieux. La proportion soins directs / temps de travail (= capacité de production) est maximisée et oriente l’allocation des ressources ainsi que l’organisation du travail. Ces institutions réunissent les conditions pour que les soignants expriment toute l’étendue de leurs compétences, s’éclatent, s’épanouissent, trouvent sens et satisfaction dans l’activité clinique et courent l’« extra mile» avec le sourire. Elles documentent en analysant les expériences des patients (PX) et celles des soignants (NX) pour transformer l’environnement de travail. L’amélioration du «value based care» et l’indice «human experience» passe par une meilleure connaissance du produit – soit de l’activité clinique . En remontant la chaîne de production à partir du quai de livraison –  (la sortie, la situation clinique, l’expérience du patient, etc).– par l’évaluation critique de la valeur ajoutée (réalisée de la manière la plus efficiente et efficace possible) de chaque étape de transformation en amont, on analyse et ajuste les coûts de production de manière holistique et équitable. On évite ainsi les redondances et les nombreux projets et fonctions connexes vécus comme extracorporels, déconnectés et sans impact mesuré. La valorisation et le respect du travail clinique peuvent alors être vécus et n’ont pas besoin d’être proclamés. Il s’agit alors d’un alignement organisationnel vivant. L’ambition de produire plus de soignants que l’organisation n’en consomme sera alors devenu un choix stratégique opérationnalisé.

A + I + E > CHF
Outre une meilleure performance, ce choix stratégique influence la confiance en et la perception de fiabilité de l’équipe dirigeante. C’est un choix qui peut induire un cercle vertueux.


R.C. Mayer définit la confiance par une fine alchimie entre aptitudes (A), intégrité (I) et empathie (E). L’aptitude s’exprime par les compétences métiers, la connaissance du produit (= activité clinique) et des profils de ceux qui réalisent le produit (= les soignants). Le courage et la clairvoyance y sont également associés. L’intégrité renvoie notamment à la congruence entre le discours et l’action. Enfin, l’empathie – considérée comme le socle des trois attributs - reflète la capacité des dirigeants à se mettre à la hauteur des yeux des soignants, l’intérêt et respect pour les individus et l’exposition d’une vulnérabilité comme témoin d’une confiance à autrui.


Il est connu, l’absence de confiance dans l’équipe dirigeante induit de la confusion, de l’instabilité et peut générer une érosion (départs silencieux et échelonnés, qui s’accélèrent progressivement) menant à une perte progressive des capacités institutionnelles, des pertes économiques et réputationnelles, puis éventuellement l’implosion de l’organisation, nommée crise sociale. Bien coûteux.


L’inverse est vrai aussi, le  Edelman trust baromètre 2022 nous apprend « Les employés des organisations à forte confiance sont plus productifs, plus énergiques, plus coopératifs et restent plus longtemps dans leur entreprise que ceux des organisations à faible confiance. Les différences entre les deux groupes sont stupéfiantes. 106 % d'énergie en plus, 50 % de productivité en plus, 13 % de congés de maladie en moins et 40 % d'épuisement professionnel en moins ».


Cadres soignants > CHF
L’intelligence artificielle fournira prochainement les plannings annuels intégrant les besoins et souhaits des collaborateurs. L’auto-organisation des équipes dégagera également du temps pour les cadres soignants. C’est important d’investir, d’assumer et de mettre en visibilité toutes les dimensions du rôle de « cadre soignant ».


Le jeu se fait à votre niveau. La continuité de l’activité, la stabilité de l’organisation, le projet institutionnel existent par votre action et vos interactions. Votre gestion des aptitudes et compétences, des cycles de vies de collaborateurs est fine et permet d’anticiper de manière professionnelle. Le développement des pratiques, la création d’espaces sûrs dépend de vous. Demain la « main d’œuvre » sera interne, externe et virtuelle. C’est la stratégie de la « main d’œuvre » qui informera et influencera la stratégie de l’entreprise. Vous êtes aux manettes. Le leadership et la culture doivent être au centre des préoccupations si les entreprises veulent tirer le meilleur parti de leur personnel.   
Les cadres soignants sont nos experts connaissance du produit.  Ils et elles sont notre « weak signal detection system » et captent la transgression des règles, les handicaps d’apprentissage de l’organisation. Ces informations peuvent servir l’agilité recherchée et le « deep organisationnal learning ». Les fondements de toute expérience réussie reposent sur l'identité de l'organisation, son objectif et ses valeurs, ainsi que sur la manière dont elle est dirigée. Il y a lieu de favoriser les circuits courts, s’appuyer et mobiliser les compétences et savoirs des cadres soignants et maximiser le pouvoir d’action là où le travail se fait. Les services de soutien sont invités à soutenir et à rendre le travail des soignants et du cadre soignant plus facile.


Les cadres soignants sont nos influenceurs actifs sur les carrefours des individus, de l’organisation, de la communauté. La chaine de valeur nous apprend que les valeurs du chef influencent son comportement et la structure organisationnel mise en place. Cette structure influence le comportement et l’engagement des collaborateurs. En cela « The core leadership strategy is : be a model », le bien-être des individus, des équipes et de l’organisation en dépend.


Jakob Ingebrigtsen, champion du monde actuel du 5000m, déçu lors de son interview disait : « Le sport n’est pas qu’une question de gagner, il s’agit aussi de montrer ce qui est possible ». Deux semaines plus tard lors de la dernière manche du Diamond League, il fait une tentative pour battre le record du monde. Il rate pour une fraction de seconde. A son interview il est heureux. Sa cadence et son interaction avec les autres coureurs a fait de cette course une course d’anthologie. Quasi l’ensemble des coureurs a battu un record national, un « personal best », un record du monde des moins de U23 etc. Cadre soignant n’est pas un statut, ni une position hiérarchique. Il s’agit aussi de montrer ce qui est possible !

Les systèmes complexes adaptifs sont faits de règles simples. Il y a moyen d’engager un cercle vertueux, si on le souhaite. Les solutions sont connues de longue date, ils impliquent des choix. Les soignants et cadres soignants ont une responsabilité à endosser, ils détiennent les clefs de la transformation de notre système de santé. Il y a lieu de les mettre en disposition pour ce faire. Soignants et cadres soignants, il y a lieu de prendre la place qui vous revient. S’indignez, c’est résister, c’est créer.